Cheval Insertion

Maison d'Enfants
à Caractère Social

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«L’équitation les canalise» : en maison d’accueil, des jeunes se reconstruisent à cheval

Article du 2 avril 2021 - reporterre.net - Source : Laetitia Drevet pour Reporterre  - Photos : © Laetitia Drevet/Reporterre

Assise sur un canapé gris, Maeva se tient droite comme un i. Elle a les jambes croisées, serrées dans un jean rose vif. Par la fenêtre, elle suit du regard ceux qui se rendent aux écuries voisines, bottes cavalières aux pieds et bombe à la main. Elle leur adresse parfois un sourire timide.

Maeva, 19 ans, a été placée au sein de cette maison de l’Aide sociale à l’enfance (ASE) il y a trois ans. Aujourd’hui, elle navigue entre celle-ci et un appartement individuel situé à quelques dizaines de kilomètres, du côté de Royan.

Si elle compte y installer le reste de ses affaires dans les prochaines semaines, elle prévoit déjà de revenir régulièrement : ce ne sera plus là qu’elle habitera, mais elle veut continuer de monter à cheval.

La Maison d’enfants à caractère social (Mecs) de Saint-Georges-de-Didonne, en Charente-Maritime, est d’un genre particulier.

Fondée en 2001, elle accueille sept adolescents placés par l’ASE et par la protection judiciaire de la jeunesse (lorsque les mineurs ont commis des infractions), au sein d’une petite maison bleue à un étage, voisine d’un centre équestre ouvert au public.

Dix autres jeunes majeurs vivent, comme Maeva, dans des appartements individuels tout en restant rattachés à la Mecs.

Baptisée Cheval et Insertion et gérée par l’association du même nom, elle mise, en plus de l’encadrement classique, sur la pratique équestre et le lien avec l’animal pour aider ces jeunes dont l’enfance pèse sur l’avenir.

Il y a eu Vincent, adolescent perturbé, abusé sexuellement quelques années plus tôt. Au sein de la Mecs et face aux autres, il avait l’habitude de se faire tout petit.

« Chez ce gamin-là, on a vu des progressions à travers sa maîtrise du cheval. Il arrivait à mieux se tenir, à prendre des décisions. Il est arrivé petit à petit à dominer, à ne plus subir.

Ça correspondait à l’évolution de son comportement hors des écuries », raconte David Phelippot, directeur de la Maison d’enfants.

Le bureau où il nous accueille est situé à mi-chemin entre la bâtisse bleue et le centre équestre, distants d’une centaine de mètres.

Il y a eu aussi Paolo, un « gamin costaud » qui cherchait sans cesse le rapport de force avec les éducateurs, les profs, le monde. À chaque séance d’équitation, il choisissait de monter le même cheval, un animal récalcitrant qui a donné du fil à retordre aux meilleurs cavaliers du centre. « Le cheval le mettait par terre toutes les semaines. Il tombait, il recommençait et il tombait encore. Nous on lui disait : “T’es sûr que tu veux continuer ?” », se souvient David Phelippot. Après des semaines à mordre le sable du manège, Paolo change enfin de monture. « Il s’est posé un peu à ce moment-là. Mais il a quand même fallu qu’il passe par ça. » En entendant son récit, Sandrine Divet, éducatrice et cheffe de service, se rappelle de Valentine.

La jeune fille n’aimait pas monter à cheval mais pouvait passer des heures dans les box à brosser les poneys, à tresser leur crinière ou à les câliner.

Les pensionnaires peuvent suivre des cours d’équitation deux fois par semaine. Une aubaine pour Maeva, qui montait à poney avant d’être placée dans cette maison d’accueil. « J’ai commencé au primaire mais j’ai dû arrêter parce que c’était trop cher. Je voulais venir ici pour ça, pour les chevaux. Ici, on a la plage à 500 mètres, la forêt et le centre équestre.

Dans les foyers, c’est rare d’avoir un cadre de vie comme ça », dit-elle, pointant du bras la direction de la mer. Si les jeunes peuvent exprimer des souhaits ou un attrait particulier pour tel ou tel foyer, il revient au Conseil départemental d’assigner chaque enfant à l’un des hébergements qu’il a sous sa tutelle.

Placée par l’Aide sociale à l’enfance depuis ses 14 ans, Maeva est passée par une famille d’accueil, dont elle garde un mauvais souvenir, puis par un foyer « bondé », avant de poser ses valises à Cheval et Insertion.

En Charente-Maritime, 1.963 jeunes sont actuellement placés, dont 636 en Mecs. « Selon le profil des jeunes et les difficultés qu’ils ont rencontrées, on essaye de trouver la formule la plus adaptée. Et si ça ne marche pas, ils peuvent être réorientés », précise au téléphone Marie-Christine Bureau, vice-présidente du Conseil départemental, en charge des affaires sociales.

Face au manque de places et aux impératifs géographiques, la pratique de l’équitation ne pèse pas lourd dans la balance. « On ne sélectionne pas les jeunes. Si on a de la place et qu’il y a une demande, il faut accueillir quoi qu’il en soit », dit David Phelippot.

De fait, tous les pensionnaires ne sont pas des mordus de dressage et de saut d’obstacle. Le rôle premier des éducateurs reste de les aider à s’orienter, à forger des projets et à préparer une carrière professionnelle, équestre ou pas.

En 2019, l’Insee estimait qu’un quart des SDF français étaient passés par les services de l’Aide sociale à l’enfance.

Pour les jeunes placés, la fin des mesures d’accueil peut s’avérer abrupte. David Phelippot et son équipe misent donc sur l’insertion en amont des jeunes dans la vie active. « Au départ, on immergeait complètement les adolescents dans le cheval », se souvient Marie-Noëlle Ragonneau, fondatrice de Cheval et Insertion, aujourd’hui retraitée.

Elle a vu le profil des jeunes évoluer avec les années. « On a accueilli des enfants qui étaient en marge de tout. En marge de la scolarité, de la vie sociale, qui vivaient la nuit. Ça arrive encore mais moins. »

Une évolution que David Phelippot attribue notamment à la mobilisation accrue sur le terrain de l’Éducation nationale, des lycées agricoles et des missions locales. « C’est rare aujourd’hui d’avoir des gamins inscrits nulle part.

L’équitation et le travail aux écuries ne sont plus les seuls piliers à leur offrir. »

Le monde équestre reste cependant très présent dans le quotidien des jeunes de Cheval et Insertion. Les cours d’équitation sont facultatifs, mais encouragés. Sandrine Divet explique : « Il s’agit aussi de remettre des contraintes d’horaires, un rythme, des obligations. Les cours nécessitent d’avoir une tenue adaptée, vestimentaire et comportementale. » Cavalière de profession, Marie-Noëlle Ragonneau soutient que la discipline nécessaire à l’exercice inculque aux jeunes le respect des consignes et la concentration. « Quand on est sur un cheval, on ne peut pas faire n’importe quoi, les gestes sont précis. Il y a des jeunes qui sont très agités et l’équitation les canalise. »

Le centre équestre constitue aussi un lien entre les jeunes et « l’extérieur ». Ils voient passer chaque jour clients et employés, les croisent aux écuries. Bien intégrée parmi les habitués du centre, l’une des internes, Lucie, suit depuis quelques mois les cours « compet’ » du samedi. « Dans ces moments-là, elle devient une cliente lambda », assure Audrey Gadiou, employée du centre équestre. De nombreux jeunes de la Mecs y ont par ailleurs effectué des stages dans le cadre de leur scolarité.

« C’est souvent une étape avant d’aller vers d’autres entreprises. C’est un milieu qu’ils connaissent, à proximité de la Mecs. Nous on les connaît aussi, on connaît leurs problèmes, donc on sait réagir », poursuit Audrey Gadiou, avant de sortir du bureau aussi discrètement qu’elle y était entrée. Elle est un peu pressée car un nouveau poney doit prendre ses quartiers dans la journée.
Le cheval de Marie-Noëlle Ragonneau loge dans une rangée de box que seule une carrière sépare de la forêt voisine. Elle marque une pause le temps de lui caresser les naseaux, puis conclut son récit. « Les clients du centre et les voisins étaient méfiants face à mon projet de Maison d’enfants. Ils avaient peur des “jeunes à problèmes”. Ils ont changé d’avis depuis. »